SILENCE A AUSCHWITZ

SILENCE

 

Nous étions venus entendre un cri, le cri d’un peuple oppressé, éradiqué, nous avons trouvé le silence.

Nous étions venus pousser un cri, le cri d’un peuple qui se rebelle, qui dit non, nous sommes restés sans voix.

 

Sans voix face à ce silence qui nous a suivi pendant ces 4 jours et qui continue à nous habiter encore aujourd’hui.

Silence envers ceux qui nous entourent à qui il est difficile de « raconter ».

Silence entre nous car les mots sont trop faibles, trop pauvres.

 

Alors oui, le proverbe arabe dit vrai « si ce que tu as à me dire n’est pas aussi beau que le silence, alors tais toi ». Parce que seul le silence peut exprimer notre pensée.

 

Le silence d’abord quand nous sommes allés les 7 accompagnateurs, le soir, nous promener le long des murs d’Auschwitz 1. Ce silence qui nous faisait prendre la réalité de front. Les murs. Les barbelés. Oui, les histoires qu’on nous a racontées ne sont pas que des histoires.

 

Et puis le 2ème soir, quand avec quelques jeunes, nous avons suivi le rail. Celui qui mène à Auschwitz 2, le camp d’extermination. Celui  qu’ont emprunté tant de gens pour leur dernier voyage. Nous étions accompagnés par les aboiements des chiens. Non pas les chiens de garde des camps, mais les chiens de garde des habitants vivant le long de ce rail, à proximité immédiate du camp. Et, quand, au milieu de la nuit, par 0 degré dehors, bien emmitouflés dans nos blousons, ce silence déjà si oppressant, pesant, si culpabilisant, a été déchiré par le bruit métallique d’un train qui passait, nonchalamment. Même notre silence, à cet instant, ne suffisait plus, notre existence n’était plus. Nous étions dans ce train. A cet instant, nous étions juifs, entassés comme des bêtes, lancés contre notre gré vers ce que nous savions être notre dernier arrêt.

 

Lors de ces 2 marches, le silence des ombres prend toute sa dimension. Nous étions dans le brouillard, de la nuit, de notre cœur, de notre humanité. C’était la négation du bruit, de la parole, du cri, de l’expression. Quand un sens pêche, les autres se mettent en éveil. Lesquels de nos sens se sont tus ? Lesquels se sont ouverts ? Tous étaient aux abois, endoloris devant un tel non sens, une telle folie, une telle négation.

Seules les lumières perçaient le silence de la nuit. Les lumières et les cheminées qui crachaient leur fumée.

 

Nous avons retrouvé ces mêmes cheminées, cette même fumée, le lendemain lors de notre marche tous ensemble. Imaginez 600 jeunes et accompagnateurs marchant vers un camp. En silence. Rythmés par le bruit de nos pas, nous marchions en cadence. Seul manquait à l’appel l’orchestre à l’entré du camp, qui aurait donné l’illusion d’une troupe de travailleurs heureux de partir vers leur travail. Arrivés au camp, nous y avons découvert une négation, un rien, le néant. Même les oiseaux avaient déserté aux dires des rescapés. Les seuls que nous ayons vus, sont les corbeaux noirs de la mort qui nous narguaient avec leurs croassements lugubres et macabres.

 

Dans ce silence lourd, une voix s’est élevée. Le Père Dujardin a rappelé le but de ce voyage : la commémoration. Souviens-toi. N’oublie pas. Il a brisé le silence, presque un tabou.

Sa voix résonnait. En écho, la voix des populations à jamais enfouies, la voix des populations d’aujourd’hui : plus jamais ça. Et puis des jeunes ont re-nommé ceux qui nous étaient proches et dont le nom avait était effacé, nié, ceux qui n’existaient plus que par un numéro tatoué sur l’avant bras.

 

Certains rescapés se sont tus, n’ont pas su témoigner, d’autres ont essayé de briser ce silence.

Contrairement à tous ceux qui n’ont pas osé faire acte de résistance. Face à l’autorité, pas facile de s’opposer, de s’imposer. « Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ? » chante Jean Jacques Goldman.

 

Ce silence était même imposé jusque dans les blocs. Gravé sur les murs pour être sûr de ne pas l’oublier. Une façon pour les bourreaux de ne pas le répéter sans cesse.

Lors de leur procès, leur mutisme a été la ligne de défense, pour certains.

 

Comme cette fumée se perdait dans le ciel, nous cheminions vers nous-mêmes. L’immensité de ce camp nous ramenait à l’étroitesse de notre cœur, vers cette petite voix intérieure qui ne s’exprime que dans le silence, vers notre propre conscience. Mais voulons-nous vraiment entendre ce que ce silence veut nous dire ? Qui suis-je dans le silence de cette immensité ?

 

Quelle solitude ont-ils tous ressentis ? Quel abandon de tous ont-ils subis ? Quelle indifférence ! Quelle ignorance ! Quelle injustice que ce silence !

 

Si toutes ces photos pouvaient parler ! Si tous ces yeux pouvaient crier ! Mais non ! Ces murs de photos sont condamnés au silence du regard, au langage des yeux que seul perçoit celui qui y est attentif, celui qui veut entrer en contact.

 

Cette communion n’est possible que par le silence. Un silence lourd, certes, mais qui peut aussi être comblé pour sortir du néant. Le silence peut devenir plénitude, recueillement, abandon, prière vers Dieu. C’est là tout le mystère du silence de Dieu. Même quand son fils est sur la croix, à l’agonie, son silence heurte.

 

Et pourtant le Père Dujardin nous l’a dit « Dieu est toujours en quête de l’Homme. Il lui tend la main en silence ». C’est donc le contraire du néant. C’est une quête, une espérance, un chemin. Un chemin d’intériorité qu’il nous propose. A nous de lui saisir la main. A nous de l’accueillir, de le laisser entrer dans notre silence.

 

Un élève a dit « j’ai l’impression d’être allé au-delà du livre d’histoire ». Il a raison. Nous sommes passés dans le monde du silence. Et au cœur de cette inhumanité, nous avons vécu une aventure humaine, une aventure vers Dieu. Pour que ce silence devienne passage vers Lui, vers son Amour.

 

« Si ce que tu as à me dire n’est pas aussi beau que le silence, alors tais-toi ». Aujourd’hui, plus beau, plus fort que le silence est l’Amour que Dieu nous donne, mais cet Amour s’exprime dans le silence de notre cœur.

 

Novembre 2012

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